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Laxisme judiciaire et "ensauvagement de la société" : les mythes face aux chiffres

Le 10 septembre 2020
Laxisme judiciaire et
La récurrence des critiques sur le laxisme des juridictions pénales face à un "ensauvagement de la société" face aux chiffres. Evolution des actes de violence, des poursuites, des peines... et du sentiment d'insécurité.

Régulièrement, et à tout le moins à l'approche d'échéances électorales d'importance, les discussions sur les politiques pénales émergent inévitablement. Les débats sont généralement alimentés par de récents faits divers violents et pointent la responsabilité la justice, forcément laxiste, dans la pré-supposée croissance de la délinquance. Au point que d'aucuns soutiennent l'existence d'un « ensauvagement de la société ». La réalité est différente.


S'agissant de l'évolution de la délinquance, la perception de la situation par les citoyens est troublée par deux facteurs généralement peu évoqués.


D'une part, l'influence des émissions d'information et de débats dont les sujets portent généralement sur les faits divers. Une étude ancienne juin 2013 publiée par InaStat précise que le nombre d'informations liées aux faits divers a augmente de façon linéaire dans les journaux télévisés des six principales chaînes de la télévision française entre 2003 et 2012, pour passer sur cette période de 1191 a 2062 sujet, dont une part significative (52,4 % en 2012) porte sur les atteintes graves aux personnes.


Cette évolution a probablement été accentuée par le développement des chaînes d'information en continue, qui sont amenée à traiter à plusieurs reprises un même sujet.


D'autre part, l'influence de la psychologie humaine qui amène le justiciable à faire preuve d'empathie à l'égard de celui qui subi l'infraction. Cela entraîne parfois des prises de positions sévères sur les réseaux sociaux, en ignorant tout de la situation factuelle ou juridique du dossier. Cet avis est d'autant plus tranché qu'il repose sur des considérations générales et non sur un dossier dont sont précisés les tenants et les aboutissants, comme l'a mis en évidence une étude du programme « JusticeRep » publiée en 2019 par Virginie Gautron et Cécile Vigour.


Ce ressenti, également appelé « sentiment d'insécurité » dont l'intensité semble croître est-il en lien avec l'évolution de de la commission de délits ? Rien n'est moins sûr.


Si les statistiques du rapport InterStat de janvier 2020 et portant sur les violences contre les personnes pointent une augmentation par rapport à 2019 (+8%), l'analyse affinée montre que celle-ci est essentiellement la conséquence d'une augmentation des violences intrafamiliales enregistrées. La libération de la parole, notamment des femmes, permet de dénoncer plus facilement des situations sans que le nombre total de violences commises soit nécessairement plus important.


En effet, les statistiques InterStat sont basées sur les violences enregistrées, ce qui ne permet pas d'apprécier d'une façon plus globale l'évolution des actes de violence commis. Le rapport de victimation « Cadre de Vie et Sécurité » publié en 2019 montre que les violences hors contexte familial ne traduisent pas une augmentation depuis 2006.


Aucun élément objectif ne permet d'affirmer qu'il existerait une hausse subite et massive des faits de violence.


Au-delà de cet état de fait, peut-on considérer que l'arsenal répressif n'est pas assez sévère ou que la justice ferait preuve d'un scandaleux laxisme à l'égard des auteurs de faits de violence ?


Il convient de souligner que la peine encourue n'est pas un facteur pertinent s'agissant de la limitation du passage à l'acte. La législation sur les « peines plancher » (2007 – 2014) et dont certains élus réclament qu'elle soit de nouveau introduite dans le droit positif, a eu peu d'incidence sur le nombre global d'infractions concernées par ce mécanisme. Ainsi, le rapport « Mesurer la Récidive, contribution à la conférence de consensus et de prévention de la récidive » publié par le Ministère de l'Intérieur en janvier 2013 relevait que le nombre de réitérants est passé de 199.642 en 2007 à 216.247 en 2010.


On ne saurait non plus en conclure que les dispositions légales encourageant une répression accrue des délits aurait été sabordées par des juridictions répressives. Seules 38% de décisions ont écarté l'application des peines plancher ... pour une augmentation cumulée de 12.000 années de prison en application de ce mécanisme.


La justice française n'est pas laxiste ; le taux de classements sans suite ou d'alternatives aux poursuites étant en baisse en 2019 par rapport à l'année précédente, le nombre de faits poursuivis étant globalement stable depuis dix ans.


On peut même considérer qu'elle est de plus en plus sévère, si l'on prend en compte l'augmentation de la durée moyenne de détention prononcée par les tribunaux correctionnels s'établissant actuellement à 8,8 mois en moyenne (source chiffres clé de la justice 2019) contre 7,8 mois en 2010. On constate une progressivité similaire dans les modalités de poursuites sur cette période, le nombre de comparutions immédiates étant de 51.000 (2019) contre 42.000 (2010).


Au-delà de la peine, le nombre de détenus est en perpétuelle augmentation, année après année. La marque du laxisme judiciaire ? Soyons sérieux !


La société française ne fait pas face à une horde de sauvages apparus subitement. Cependant, cela n'empêche pas le développement d'une demande de sanctions plus importante. Pour lutter contre le sentiment d'insécurité plus que contre l'insécurité.