Au-delà de la polémique sur les priorités de la Chancellerie alors que la pandémie du coronavirus a considérablement ralenti les activités juridictionnelles, le Décret n°2020-356 du 27 mars 2020 pose un certain nombre de questions autour d'un nouveau fichier de traitement automatisé des données à caractère personnel : DataJust
Les finalités de DataJust sont clairement précisées dans le Décret : il s'agit de créer un barème indicatif pour aider à la prise de décision dans l'indemnisation des préjudices corporels. L'évaluation des sommes accordées aux victimes est actuellement fixée par la jurisprudence sous le seul impératif de l'indemnisation intégrale du préjudice subi.
D'une part, on peut s'étonner qu'un tel barème basé sur des algorithmes apparaisse comme étant une priorité, alors même qu'il existe déjà des barème indicatifs à disposition des magistrats comme des professionnels intervenant dans le domaine du préjudice corporel.
On sait par ailleurs que les expérimentations de justice prédictive lancées notamment à la Cour d'Appel de RENNES se sont soldés par des échecs, faute d'évaluation pertinente par l'algorithme.
On notera également que DataJust a été lancé sans qu'aucune discussion voire concertation n'ait été lancé entre la Ministère de la Justice et les utilisateurs, qu'ils soient magistrats, avocats, assureurs, associations de victimes...
D'autre part, la finalité de ce nouveau fichier interroge sur les utilisations qui pourront en être faites.
En effet, si DataJust a pour objet de s'imposer comme étant un barème indicatif unique, il n'a pas vocation à être exclusivement dans un cadre contentieux.
Sur ce point, l'article 1er, 3° du Décret précise que l'algorithme doit servir à (...) :
« 3° L'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges »
Il s'ensuit que les offres indemnitaires, qui seraient fondées sur un barème connu et accessible aux victimes, perdraient tout intérêt à être contestées devant une juridiction...puisque DataJust est construit autour de décisions jurisprudentielles.
Cette aide à la prise de décision qui confine à la simplification et à la standardisation de la valorisation de l'indemnisation pose plusieurs questions.
Premièrement, on peut légitimement se demander si la prise en compte d'éléments singuliers pourra être prise en compte correctement par le logiciel. La place accordée à l'indemnisation intégrale du préjudice peut se retrouver considérablement amoindrie.
Deuxièmement, à supposer que le logiciel soit fiable, la valorisation dépend de ce que le payeur voudra bien entrer comme éléments relatifs au préjudice. On sait par expérience que les expertises amiables ne sont pas toujours équivalentes aux expertises judiciaires et que certains postes de préjudices peuvent aisément être « oubliés »...
Troisièmement, sous réserve que les postes à indemniser soient repris dans leur intégralité, la valorisation définitive reste toujours soumise à une appréciation humaine. Celle du Magistrat, bien sûr. Mais aussi celle du payeur dans le cadre d'une transaction amiable.
Quel intérêt restera t-il pour le blessé de s'interroger sur la régularité de l'offre indemnitaire, puisque le barème utilisé sera perçu comme une pierre philosophale garantissant une indemnisation sans trucage, conçue par le Ministère de la Justice ?
Quel intérêt de consulter un avocat pour s'assurer une réparation sérieuse de l'intégralité du préjudice, puisque le montant offert a reçu - même indirectement - la bénédiction de la Chancellerie ?
Les professionnels qui pratiquent le droit du dommage corporel savent que les propositions faites par les compagnies d'assurance sont quelques fois incomplètes, ou chiches dans leur montant. Va t-on vers une accélération de ce mouvement ? Probablement.
DataJust est une boîte de Pandore, dont l'objectif est de réduire le contentieux devant les juridictions, au détriment de de la victime qui pourra voir son indemnisation fondée sur un jeu de dés pipés lancés par le seul tiers payeur.
Vous avez été blessé dans un accident de la circulation ? Vous avez été agressé ? Prenez contact avec un avocat.